La situation dans les camps de réfugiés et les territoires palestiniens - Bande de Gaza et Cisjordanie - Mission d’observation d’une délégation française du 11 au 16 mai 2001 à l’initiative de l’Association pour les jumelages entre villes françaises et camps palestiniens :

 Note établie par Michel C. Kiener - Adjoint au Maire de Limoges - Professeur agrégé d’histoire - 25 mai 2001

La présente note, réalisée sans autre ambition que celle de résumer les informations recueillies et vécues sur place ne fera que confirmer, aux yeux des personnes bien informées, l’information déjà publiée par d’autres. Elle se veut simplement objective et claire, en vue d’être utile.

La presse française parlée et écrite semble en effet avoir pris récemment une meilleure mesure des problèmes et être beaucoup plus attentive aux réalités d’une situation qu’elle n’abordait qu’avec une extrême prudence ces derniers mois, avec un évident souci de tenir « balance égale » entre deux « parties » qui se livrent depuis des décennies une guerre qui peut paraître sans merci. On peut citer ici, comme articles récents caractéristiques à la fois de cette « prudence » et de cette prise de conscience inéluctable l’article présenté comme « Carnet de route » de l’écrivain Gilles Kepel paru dans le Monde du 18 mai 2001 sous le titre « Brève chronique d’Israël et de Palestine ». On y retrouvera bon nombre de témoignages qui recoupent tout à fait ceux qui seront mentionnés plus loin.

On renvoie aussi aux rapports établis précédemment par d’autres visiteurs dont :

- Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, 29 novembre 2000, suite à sa visite dans les territoires occupés et au proche-orient du 8 au 16 novembre dernier, sur un itinéraire très semblable à celui qu’a suivi notre délégation (Bande de Gaza dans son intégralité, Ramallah)

www.monde-diplomatique.fr/cahier/proche-orient/documents/droitshomme2000.pdf

Concernant les cartes de référence nécessaires à une meilleure compréhension des problèmes créés par les colonies israéliennes dans les Territoires palestiniens, on renvoie à celles qu’a publiées Le Monde diplomatique, notamment dans Manière de voir n°54, « Proche-Orient. Rebâtir la paix ». La carte (non publiée par les Israéliens) représentant les ultimes concessions d’Ehoud Barak à Camp David en juillet 2000 peut être trouvée sur internet à

www.monde-diplomatique.fr/cartes/campdavid2000

Voir aussi le numéro spécial de Géo, n°243, mai 1999.

Concernant l’actualité quotidienne et les points de vue journalistiques israéliens, consulter l’édition Internet (en anglais) du quotidien israélien Haaretz

www3.haaretz.co.il/eng/html

 

Les objectifs de la Délégation

Se rendre compte de la situation des réfugiés après plusieurs mois d’Intifada Al Aqsa, de blocus économique et d’évènements dramatiques. Rappelons que les trois-quarts du million d’habitants de la Bande de Gaza dépendent des camps de réfugiés gérés en direct par l’UNRWA.

 

Un parcours très large

Les membres de la délégation ont pu visiter dix camps.

Ont été parcourus en tous sens :

- les trois villes de la Bande de Gaza (Gaza, Khan Younis et Rafah), du point de passage d’Erez au nord jusqu’au mur de béton de la frontière égyptienne au sud, avec visite de 4 camps, rencontres avec les responsables palestiniens.

- Deux villes de Cisjordanie situées de part et d’autre de Jérusalem, Ramallah et le camp d’El-Amari, et Bethléem (2 camps, Beit Jalla et Geishé). Des membres de la délégation se sont rendus dans trois autres camps.

La délégation de 46 personnes venant de 17 villes françaises différentes comprenait des gens de tous horizons et de fonctions variées (élus et membres de comités locaux d’aide aux habitants des camps), et plusieurs arabophones : cela lui a permis d’avoir des centaines de contacts directs (témoignages spontanés, expériences personnelles, conversations prolongées) avec une population de tous âges et de tous statuts, au cours de dizaines d’arrêts et visites, bien au delà des conversations prévues avec les responsables d’associations palestiniennes de formation professionnelle etc.

 

Ses membres ont rencontré :

- les responsables de divers comités d’habitants des camps et d’associations palestiniennes, telles que la Society of Ina’ash El-Usra du camp d’Al-Bireh (Ramallah) créée dès 1965 et très active auprès d’orphelins, de mères de famille isolées et de jeunes filles en formation,

- les responsables représentant l’Autorité palestinienne dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie,

- des personnalités telles que le maire de Bethléem, le Consul général de France à Jérusalem, l’attaché culturel français, le directeur du centre culturel de Ramallah,

- les représentants de 7 associations pacifistes israéliennes, à Tel Aviv même, ainsi que des députés opposants de gauche de la Knesset et des élus de Jérusalem ouest,

- le président Arafat, qui l’a reçue pendant une heure dans sa résidence de Gaza, avant de s’envoler pour l’Egypte.

Elle a circulé en toute liberté, sans obstacle de la part des autorités israéliennes, ce que n’avait pu faire il y a quelques mois une délégation belge qui comprenait pourtant le ministre des affaires étrangères, M. MIchel.

La délégation, composée de Français et d’un Belge, était certes très attendue par les Palestiniens des camps qui bénéficient de l’aide des comités français. Mais elle n’a cessé d’être assaillie de références au « pays de la Liberté, Liberté, Egalité, Fraternité » de la part de gens qui disent attendre énormément des autorités françaises et européennes. Elle. a été d’autant mieux accueillie qu’elle représentait dans le sud de la Bande de Gaza -nous a-t-on répété à l’infini- un des rares contacts établis avec l’extérieur depuis septembre 2000.

 

1. Au delà des images choc

La presse européenne rend très largement compte, et de plus en plus, des évènements dramatiques qui se produisent au quotidien dans les territoires palestiniens sous occupation israélienne. Les images que diffusent les télévisions sont cependant stéréotypées : foules palestiniennes vociférantes portant le corps des « martyrs » de l’Intifada, groupes de chebabs lanceurs de pierres dispersés par les militaires israéliens casqués, colons israéliens exprimant leur peur ou leur colère…

Il apparaît toutefois impossible au visiteur qui se rend sur place de s’en tenir au discours convenu auquel les Européens ont été accoutumés, à un discours d’équilibre qui renvoie dos à dos et met en balance les deux violences, celles des forces de sécurité israéliennes et celles des militants et des foules palestiniennes.

En dépit des cartes publiées et des informations données, rien cependant, sinon une visite sur place ne peut rendre compte de la réalité que représentent les colonies israéliennes implantées dans les territoires palestiniens, et des contraintes et des humiliations qu’elles imposent au quotidien à leur population. Et cette réalité est terrible : pour quelques maisons construites en hâte à quelques centaines de mètres ou à un kilomètre d’une agglomération palestinienne sur des terres confisquées, ce sont des dizaines de maisons détruites au bulldozer dans la foulée pour des raisons de sécurité. Ce sont des routes désormais barrées, des vergers et des murs arasés.

Qu’en savent les habitants israéliens eux-mêmes ? Comment des citoyens ordinaires vivant une vie de citoyens d’un pays développé aux équipements de standard européen pourraient-ils appréhender ces réalités, dans la mesure où ils ne se risquent pas (et ne peuvent plus se risquer) dans des Territoires occupés hostiles et truffés de camps de réfugiés et de bidonvilles ? Ce que confirme un rabbin d’origine américaine : « L’immense majorité des Israéliens sont intéressés seulement par l’immédiat, et la situation des Réfugiés est très éloignée de leurs préoccupations. Il y a un très grand déficit d’information sur ce que vivent les gens dans les Territoires occupés ».

Les cartes israéliennes elles-mêmes en disent long sur la façon dont on fait glisser l’opinion israélienne vers l’idée d’une annexion sans phrases des Territoires occupés. Ainsi l’Israel-Road Map au 1/350 000e publiée par Map, Tel Aviv, 1996, englobe toute la Palestine mandataire de la Méditerranée au Jourdain, Golan en sus, dans un même état nettement circonscrit par une frontière unique (Border) faite d’un trait continu violet. Les territoires soumis à la Palestinian Authority (zones A) ou placés sous la double autorité israélienne et palestinienne (zones B) apparaissent alors au sein d’un territoire uniformément blanc comme des enclaves de couleur : il est bien difficile d’y trouver en pointillé ultra-léger les frontières des Territoires palestiniens de 1967, et les zones C (sous autorité directe des Israéliens) ne se distinguent en rien du territoire d’Israël proprement dit.

 

2. L’impact des colonies israéliennes

Le choc est immédiat pour le visiteur des Territoires palestiniens : stupeur de voir l’incroyable enchevêtrement de populations que provoque la colonisation israélienne à l’intérieur même de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie, passée de 75 000 colons en 1990 à près de 200 000 aujourd’hui.

La maîtrise de l’espace par les autorités israéliennes s’exprime de deux façons : d’une part par des expropriations considérables, dont les populations paysannes sont les premières victimes, d’autre part par la prise en main et la refonte du réseau routier primaire.

Dans la Bande de Gaza, qui compte plus d’un million de Palestiniens (1,2 million ?), les Israéliens ont d’ores et déjà confisqué pour leurs 18 colonies 35% de l’espace à l’usage des quelque 5 à 10 000 colons qui s’y trouvent (les chiffres diffèrent selon les sources). Rappelons que la Bande mesure 45 km du nord au sud, sur 7 à 12 km en largeur. L’implantation arbitraire et répétée des colonies traumatise la population et bouleverse sa vie quotidienne ; perçues comme des provocations, implantées de façon brutale sous protection militaire ouverte, elles démultiplient les rancoeurs et les haines, et créent sans cesse de nouveaux points d’affrontement. Les intérêts des colonies passant avant tout, le projet de nouveau port de commerce de Gaza prévu par les accords de Stockholm se trouve ainsi stoppé par l’existence de la colonie israélienne de Netzarim peuplée de quelques dizaines de colons.

Les colonies, stratégiquement placées, encadrent littéralement les localités palestiniennes. Souvent implantées sur une colline, elles dominent les camps de réfugiés, les villes et les villages arabes, les surplombent souvent ou leur font face à contre-pente. Elles sont situées parfois à quelques centaines de mètres d’une localité palestinienne, telle celle de Netzarim, souvent évoquée dans les médias pour les incidents qui se produisent à ses abords. Dès lors, l’espace alentour est « nettoyé », c’est à dire dégagé des maisons existantes, démolies sans rémission sauf à être conservées pour faciliter sans doute les réglages d’artillerie. On coupe les arbres et mêmes des orangeraies que cultivaient les agriculteurs palestiniens. Nous avons pu voir le 13 mai un bulldozer à l’œuvre, protégé par deux chars, dans les faubourgs de Rafah, à proximité immédiate de rangs de maisons habitées, et sur une dizaine de sites à travers la Bande les ruines nivelées de dizaines de maisons, sur les restes desquelles, parfois, campent désespérés leurs anciens propriétaires. Des postes militaires israéliens, couverts de filets de camouflage et arborant leur drapeau défendent les abords des colonies israéliennes invariablement surmontées d’une haute tour métallique destinée aux communications. Parfois, des chars semi-enterrés renforcent le dispositif.

Qui pourrait demander à une population d’assister sans réagir à ces appropriations brutales, qui paraissent sans fin ? Exaspération et rage froide : nous avons surtout constaté le désespoir et le sentiment d’abandon d’une population qui se sent agressée sans recours par un « occupant » qui maîtrise l’air, l’eau, les routes et l’espace, et qui en joue à sa guise. Par la force des choses, les enfants, les jeunes, les hommes au chômage du village ou du quartier situé à proximité sont bien obligés de voir ce qu’ils ont sous les yeux, et de vivre en permanence au contact des forces israéliennes. Tout le monde sait que la colonisation continue, comme le premier ministre Sharon l’a répété. Les affrontements à coups de pierre vont donc bien au delà d’un jeu : ils sont un message adressé à Israël pour tenter de bloquer des extensions qui paraissent inexorables. Nous avons vu des jeunes de Ramallah, une fois sortis de l’école, enflammer des pneus en milieu d’après-midi sur un point d’affrontement devenu traditionnel, situé au bas d’une rue à 2x2 voies désormais barrée que surplombe une colonie israélienne. La fumée sert de signal, et d’autres jeunes viendront les rejoindre : quels moyens reste-t-il pour eux de protester sauf à prendre le fusil ?

 

3. La violence faite à l’espace

L’européen moyen peut imaginer a priori ces « colonies » comme des « villages » d’agriculteurs israéliens. C’est en effet le cas pour les plus petites, et les plus nombreuses. En fait, plusieurs d’entre elles, autour de Jérusalem notamment, se présentent comme des sortes de Carcassonnes perchées, construites d’un seul jet par l’Etat israélien à l’intention des nouveaux immigrants ; ces colonies sont conçues comme des programmes compacts de grands collectifs et de maisons standard soigneusement regroupées et isolées du reste de l’espace. C’est le cas, par exemple, pour les deux colonies juives de Gilo et Har Homa qui encadrent Bethléem et surplombent le camp de réfugiés de Beit Jalla. Ces colonies, comme incongrues dans le paysage, s’opposent aux villes et villages palestiniens dont les maisons dispersées s’échelonnent sur les crêtes et les pentes. Construites en un temps record, faites d’immeubles et de maisons blanches soigneusement ordonnées, noyées parfois dans une végétation abondante, elles s’opposent terme à terme aux camps de réfugiés abandonnés depuis des décennies à leur misère pour les raisons politiques que l’on sait.

La multiplication et la dispersion voulue des colonies justifie la construction rapide (largement commencée) d’un réseau stratégique de 2x2 voies est-ouest et nord-sud, destinées à les relier entre elles. Ces routes sont tracées quasiment en ligne droite à travers la Cisjordanie, sans souci des reliefs ni de paysages devenus par eux-mêmes au fil des siècles patrimoine de l’humanité.

Ces routes, surveillées par des postes militaires souvent provisoires, sont parfois interdites, en partie tout au moins, aux Palestiniens qui voient leur trafic détourné ou bloqué à volonté. C’est le cas par exemple de l’artère vitale qu’est la route nord-sud de la Bande de Gaza entre Gaza et Khan Younis : juste au sud de la ville de Deir El Balah, le trafic de camions, bus et véhicules particulier est contraint d’emprunter une route secondaire au tracé en baïonnette (cinq tournants à angle droit), route prise d’enfilade par des tours de garde bétonnées et armées, avant de franchir le check point marqué par un dos d’âne en fonte. La délégation a mis à l’aller et au retour une heure et demie et deux heures pour passer ce point ; les étudiants qui viennent du sud chaque jour à l’université de Gaza mettent en fait 4 heures à chaque passage (8 heures aller-retour), comme tous les autres utilisateurs de la route, contraints de l’emprunter matin et soir. Tout cela rend les déplacements hypothétiques, avec leur lot de cours manqués, d’examens reportés ou annulés…, comme c’est le cas également pour les étudiants de l’Université palestinienne de Bir Zeit (Cisjordanie). « Aujourd’hui, les points de friction sont partout. Les barrages sont partout !, on peut vous arrêter 30 mn ou 1h30, vous ne pouvez rien faire ! Vous êtes coincé au milieu de 200 voitures, et tout ça pour rien !… », souligne un responsable français en poste à Jérusalem.

Partout, les populations de tout niveau social nous ont signalé le caractère arbitraire, aléatoire et imprévisible des décisions israéliennes, les autorités israéliennes stoppant à leur guise le trafic pour quelques heures ou une journée ou plus, à travers les territoires occupés. Le moindre incident sert de prétexte. Partout, les populations ont dénoncé la désorganisation qu’imposent à la vie économique et sociale ces points de contrôle qui fragmentent les territoires occupés, et les pertes irrémédiables que subissent en particulier les producteurs de fruits et légumes, du fait de cargaisons entières bloquées sans rémission. Les ambulances elles-mêmes ne sont pas épargnées.

Entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie les liaisons sont de même, dépendantes du bon vouloir des autorités israéliennes. Ainsi en va-t-il de la distribution dans la Bande des trois quotidiens palestiniens, tous publiés à Ramallah, ville « intellectuelle » et universitaire, ville chrétienne autant que musulmane. Tel Palestinien de Cisjordanie nous dit ne pas avoir eu de contacts avec son frère depuis des années, faute de pouvoir traverser Israël même. « Paris est plus proche, pour nous, que Gaza », nous disait un Palestinien de Ramallah.

 

Multipliant à l’infini les précautions, les forces israéliennes peuvent fragmenter à volonté le trafic, interdisant par exemple aux poids-lourds, aux taxis, aux autobus ou même aux particuliers le franchissement des points de contrôle. On voit alors les habitants descendre des véhicules et en reprendre un autre de l’autre côté du barrage. La HCNU signalait dès novembre 2000 dans son Rapport ces changements de camion imposés même aux marchandises et les conséquences du blocus mis sur l’importation de ciment dans les Territoires palestiniens. Qu’un camion piégé explose, et ce sont tous les camions qui deviennent suspects.

Seul le téléphone portable, devenu là-bas de pratique universelle et tenu en permanence à l’oreille, permet aux chauffeurs de parer, quand ils le peuvent, aux décisions imprévisibles des autorités israéliennes.

Souvent, seules les femmes et les enfants sont admis à passer, et les hommes qui souhaitent se rendre au travail doivent alors mendier, comme on l’a vu, le droit de franchir à leur tour le barrage. Humiliations et vexations quotidiennes, que l’existence même des colonies, créées en force, impose sans doute aux forces israéliennes si elles veulent éviter les conséquences prévisibles des vols de terre et des contraintes imposées de ce fait aux populations.

Les responsables ou diplomates étrangers eux-mêmes ne sont pas épargnés par les contrôles incessants. Les exemples abondent. C’est ainsi que le Consul général de France à Jérusalem n’a pas pu venir inaugurer le 15 mai une exposition de peinture programmée à Bethléem par l’attaché culturel : il a été contraint de faire demi-tour, après une longue heure de stop and go, pour avoir refusé d’ouvrir son coffre de voiture au check point qui donne accès à la ville. Et il faut la volonté farouche des autorités françaises de maintenir à tout prix une présence à Ramallah pour surmonter les obstacles mis en permanence aux liaisons Jérusalem-Ramallah.

 

Ainsi, cet état en peau de léopard dont se satisfont les autorités israéliennes, aboutit de façon criante à faire vivre à toute une population des humiliations renouvelées quotidiennes, et un enfermement économique et psychologique intolérable. Lequel, en dehors de tout esprit polémique, explique pour partie les explosions de violence et les provocations rageuses auxquelles se livrent en particulier les jeunes.

 

Tous ces faits, toutes ces violences sur lesquels nous avons recueilli des témoignages précis, comme tant d’autres avant nous, paraissent voués à se répéter à l’infini, semblables à ceux que recensent chaque jour les observateurs et la presse. Voir sur ce point en particulier

www.solidarite-palestine.org/pres.html

mais également, du côté israélien, les articles du quotidien Haaretz, déjà mentionné.

 

4. Un développement stoppé

Après des décennies de stagnation, les accords d’Oslo de 1993 ont suscité à l’évidence un grand espoir dont tous nos interlocuteurs nous ont parlé, incitant des milliers d’expatriés (entre 150 et 200 000 aux Etats-Unis, 275 000 en Arabie Saoudite et des dizaines de milliers en Scandinavie donc dans des pays riches) à construire et à investir dans leur patrie. Les immeubles de rapport autant que les maisons individuelles ont poussé comme des champignons, et le bâtiment est ainsi devenu en quelques années une branche d’activité majeure dans les territoires palestiniens.

Dans les camps eux-mêmes la situation avait commencé à changer, étant entendu que les « réfugiés » ont depuis longtemps débordé le périmètre des camps stricto sensu, au point que nombre des 20 000 « réfugiés » de Ramallah se confondent pratiquement avec la population du crû. 80% des habitants du camp d’El Amari proprement dit habitent désormais des maisons en dur.

Rues (et routes) enfin bitumées (du moins pour les principales), villes faites de maisons et d’immeubles construits en dur avec terrasses, balcons et ouvertures d’un style local affirmé, camps de réfugiés constitués en partie désormais de quartiers transformés en espaces correctement urbanisés, artisanat et commerces, la Palestine avait semble-t-il entamé son développement, avec un bon encadrement scolaire. « Situation de croissance », ainsi parlent des responsables palestiniens de Ramallah pour parler de la période qui précédait l’Intifada de septembre 2000. L’aide internationale, même freinée par les autorités israéliennes, avait apporté un « plus » important dans la bande de Gaza : écoles construites par les Japonais, stations d’épuration des eaux ou de stockage par les Français et les Suédois, centre culturel de Rafah financé par l’Union Européenne, etc.

Tout cela est stoppé, et le chômage atteint des taux record (60% à Gaza, nous a-t-on affirmé, du fait d’une réaction en chaîne liée au blocus de fait qu’imposent les Israéliens). On comprend mieux dès lors les réactions de désespoir et l’amertume qu’expriment les Palestiniens qui n’ont pas oublié la misère qui marquait la période d’avant Oslo. Combien de fois ne nous a-t-on pas fait observer que tel bâtiment ou telle route n’existait pas il y a quatre ou cinq ans ?

 

5. Les camps, premières victimes

Dans la seule Bande de Gaza, il y aurait 747 000 réfugiés recensés, soumis à l’autorité unique de l’UNRWA créée en 1949 à leur intention. Celle-ci collabore avec des comités d’habitants qui assurent la liaison avec l’Autorité palestinienne.

Faute de représentation politique autorisée, les camps se sont en effet dotés de comités d’habitants, mais surtout d’associations d’aide sociale et d’action culturelle, très actives, telle que la Society of Ina’ash El-Usra du camp d’Al-Bireh (Ramallah), déjà mentionnée. Elles s’efforcent souvent de promouvoir l’artisanat traditionnel, en essayant de trouver à l’étranger des marchés, en plus du soutien qu’elles apportent aux familles de chômeurs ou de « martyrs » : ainsi la Palestinian Women Union de de Gaza. Ces associations militantes travaillent aussi dans les petites villes ou les villages. On peut citer sur la Bande de Gaza également le Palestinian Medical relief committee et ses Travailleuses de la santé en formation continue, le Palestinian agricultural relief committee et le Palestinian Hydrology Group, qui a planté 18.000 arbres fruitiers sur le village d’Al Qarara (18.000 habitants) et créé des installations pour récupérer l'eau de pluie -en particulier sur le groupe scolaire de Aylaboon (1.500 élèves)-, ou encore le Centre de la femme rurale de Al Qarara qui assure aujourd'hui des formations variées aux femmes de ce village.

On insistera ici sur l’effort de scolarisation consenti pour la population palestinienne et pour celle des camps en particulier, en dépit d’une extrême pénurie de moyens. Dans la bande de Gaza les enfants vont à l’école en deux fractions qui se partagent la journée. C’est l’école qui « tient » les plus jeunes. Mais les classes, 6 m x 6 m souvent (soit 36 m2), contiennent 50 à 60 élèves chacune…

Selon une jeune médecin palestinienne, responsable des questions sanitaires à Gaza, on ne constate pas de carences alimentaires graves chez les enfants. L’entraide familiale, les allocations de l’UNRWA et les 150 US $ que délivre actuellement l’Autorité palestinienne aux familles des chômeurs, s’ajoutent aux ressources tirées ici ou là des jardins et d’un petit artisanat.

Chaque médecin voit en moyenne, nous dit-on, quelque 100 malades par jour. Les problèmes sanitaires sont patents (les poux en particulier), sans parler du ravitaillement en eau potable et du problème des eaux usées. Aucune station d’épuration n’existerait sur la Bande de Gaza, et les projets financés par l’aide internationale sont actuellement stoppés à mi-course.

Concernant l’habitat, le tissu urbain est constitué de façon presque incohérente d’un réseau de rues assez larges, tracées au bulldozer dès les années 1970 par les forces israéliennes. De là, partent des ruelles et des impasses qui irriguent un tissu urbain constitué d’un mélange intime de petits immeubles en parpaings et d’ilôts d’habitat précaire. Celui-ci se glisse partout, ferme les angles de rue, mord sur le moindre espace libre : espaces de 8 ou 9 m2 couverts de tôle ondulée, dans lesquels vivent des familles chargées d’enfants. Le camp de Beit Lahia abritait en 1970 40 000 personnes : il en compte 108 000 aujourd’hui, dont 80 000, nous dit-on, entassés sur un espace d’un kilomètre carré et demi. 78 % de cette population aurait moins de 16 ans, ce qui signe surtout une mortalité précoce des adultes. La misère y est terrible, et on ne peut pas parler d’hygiène dans ces « logements » de terre battue couverts d’un vague tapis et « meublés » de quelques couvertures épaisses.

Dépourvues de toutes réserves financières, les populations des camps sont aussi les premières frappées par la violence militaire israélienne : leurs populations, que ce soit à Rafah, à Ramallah, à Gaza ou à Bethléem, sont en contact quasi immédiat avec les colonies israéliennes et leur périmètre de sécurité. Elles sont constituées d’hommes qui n’ont rien, et qui n’ont rien à perdre sinon leur vie. Partant, ce sont les camps qui fournissent une bonne partie des « martyrs » dont les portraits sont affichés dès leur mort sur les murs des villes palestiniennes. Ce sont les camps qui sont frappés chaque jour en priorité par les tirs de riposte ou les incursions des forces armées israéliennes.

Quand elles frappent des bâtiments de l’Autorité palestinienne, les forces israéliennes peuvent se targuer néanmoins de le faire de façon « chirurgicale » : nous avons pu visiter trois postes insérés dans un tissu urbain dense, qui ont été dévastés par un missile tiré par un hélicoptère Apache sans « dégâts collatéraux » notoires… C’est le cas pour le poste de police de Ramallah qui fut la scène de la défenestration tragique de deux militaires israéliens.

Ces tirs ciblés ont cependant une conséquence importante : ils maintiennent la population des villes et des camps dans une angoisse permanente, chaque attentat ou incident entraînant des représailles possibles sur l’ensemble des sites implantés dans des quartiers urbains denses.

 

Et pourtant, dit un cadre français qui a vécu dans l’un des camps , « ce qui m’a frappé, c’est la dignité de ce peuple. ‘La peur, disent-ils, elle n’est pas chez nous, elle est chez eux’ ».

De fait, les responsables de la police palestinienne et les militants des associations disent que la présente Intifada s’est accompagnée d’une chute spectaculaire de la délinquance, par une sorte de réflexe de solidarité et d’union nationale dans le malheur. Et cela en dépit du fait que cette « Intifada Al Aqsa » n’a pas le caractère de croisade religieuse que prit très vite la première, celle de 1987. Tout au contraire, la population entend continuer à vivre, à se marier, à étudier et à travailler, en tirant les leçons de l’échec de 87 et surtout celles de l’échec des négociations de paix des années 1990.

Les « gens de la rue » et les jeunes ne cessent pas, cependant, de demander pourquoi la communauté internationale reste aussi silencieuse, pourquoi les Palestiniens semblent abandonnés sans recours à l’arbitraire israélien.

On insistera enfin sur le coup porté aux forces de sécurité palestiniennes, et sur la très grande amertume que l’on ressent chez des officiers qui parlent de façon responsable de leur travail et de leur début de collaboration avec la police israélienne en vue de contrer la mise en place des trafics criminels en tous genres. Divers incidents récents, dont des « punitions » infligés par des missiles à des postes de police de quartier aboutissent en fait à détruire le début d’Etat de droit qui se mettait en place.

 

Conclusion

Il y a donc urgence. Mais pour agir, il convient de prendre la juste mesure du problème.

- Tout d’abord, seul un contact direct avec les réalités de la Palestine occupée permet de concevoir dans sa réalité quotidienne ce que représentent pour les populations les évènements en cours, colonisation israélienne et violences des deux bords.

- Par conséquent, il est urgent qu’à tout le moins le maximum d’autorités morales et politiques extérieures au conflit se rendent sur place pour entendre la parole des uns et des autres, et prendre la juste mesure de l’état d’oppression dans lequel on maintient et on engage chaque jour davantage des populations qui n’ont rien de la caricature qu’en donnent leurs adversaires.

- L’objectif est aussi de faire mesurer aux Israéliens eux-mêmes et à ceux qui les soutiennent à l’extérieur les conséquences des violences militaires commises sur le terrain, et de leur faire prendre conscience des conséquences dramatiques qu’entraîne inéluctablement la colonisation des terres palestiniennes.

Pour ce qui est de la France, on citera sur ce point un de nos interlocuteurs français, qui n’a pas oublié la visite du Premier ministre français ni celle du Président de la République :

« Force est de constater que depuis le début de l’Intifada, il n’y a pas eu grand monde venu de France. […] Malheureusement, la situation n’est pas assez expliquée, parce qu’on s’habitue à tout, et c’est une situation qui ne date pas d’hier…

[…] Je rêve de voir des responsables politiques français sur le terrain, de voir un ministre à Gaza, à Hébron, pour voir vraiment la situation. […] Le parlement français n’est pas assez présent, à mon sens, ici. On n’a pas vu un seul député ni un seul sénateur depuis le début de l’Intifada en septembre, et c’est dommage. »

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